Vanessa, vue par François-Marie Banier
C’est l’artiste qui parle, mais avant tout l’ami, témoins des instants de bonheur familial. François-Marie Banier raconte celle qui le bouleverse par sa douceur et son intensité....Banier parle de Vanessa Paradis. Il est intarissable. « Il y a en elle quelque chose de bouleversant, de si clair, de presque transparent. Je ne connais pas une seule personne qui ne soit pas amoureuse d’elle. Vanessa a 18 ans. Elle les aura toujours. Elle est à la fois douce et profonde. Elle n’est qu’éveils. C’est un printemps perpétuel. C’est très rare un être d’une attention si constante, si précise. Elle est à la fois une héroïne de Shakespeare par son incommensurable force et le bouillonnement de ses certitudes et un personnage de Walt Disney par sa drôlerie, son ingénuité et son imaginaire. Pour un metteur en scène, elle est le rêve absolu. Elle peut tout jouer parce qu’elle n’a aucun a priori et un goût de la vérité aussi profond que celui de Johnny. Ils vont à l’essentiel. Ils sont dans la vie. La vie dans ses plus petits détails. Elle forme avec Johnny un couple merveilleux. C’est magnifique, deux amoureux. Et des enfants comblés à la fois d’amour et de dons. Johnny est un grand acteur et aussi un homme à la sensibilité infinie. Un père de famille comme je n’en ai jamais vu. Voir Vanessa composer ses chansons sur la terrasse de sa maison de Los Angeles, pieds nus, toute seule grattant sa guitare, les enfants courant dans tous les sens, ou entourée de ses parents, répondre aux lettres de ses milliers de fans, ou faire la cuisine pour nous tous matin, midi et soir et se pencher à l’écoute de chacun, prouve qu’une femme est capable de tout. »
Vanessa Paradis et Johnny Depp ont choisi Banier comme parrain de leur fille. C’est à elle que Banier montrera en premier ses onze livres que Steidl, le grand éditeur allemand, publiera en même temps en septembre. Ce feu d’artifice de dessins a pour titre générique « Autocar »...Les retrouvailles de Jeanne Moreau et Vanessa ParadisCannes, mai 1995. Vanessa Paradis et Jeanne Moreau chantent main dans la main Le tourbillon de la vie, l’air culte de Jules et Jim, sur la scène au palais des festivals. Intense émotion, moment de télévision d’anthologie. Peu après, elles tournent un film ensemble (Un amour de sorcière) avant de se perdre de vue. Quinze ans plus tard, dans une suite du Raphael, Madame Figaro a orchestré leurs retrouvailles autour d’une coupe de champagne rosé. La magie opère toujours.Jeanne Moreau. Depuis que Vanessa m’a fait ce cadeau au Festival de Cannes, quand elle est arrivée sur scène pieds nus, chantant a cappella la fameuse chanson de Jules et Jim, depuis ce jour-là j’ai comme un lien secret et mystérieux avec elle. Les années passent, nous nous voyons peu, mais c’est comme si j’étais toujours en relation avec elle. Je la suis de loin et je vois une jeune fille se transformer en une jeune femme très précieuse. Je ne parle pas de son aspect – elle a toujours été belle –, mais, comment dire, il y a une transformation intérieure que je trouve magnifique. Quand je l’ai vue dans l’Arnacoeur, son dernier film, j’ai constaté combien la rareté au cinéma donne une énergie très particulière à l’interprète d’un personnage. Il y a chez elle une urgence, une netteté, une fraîcheur qu’elle a su communiquer au film entier. Quand on tourne beaucoup, le regard du spectateur sur vous change, on finit souvent par regarder davantage l’actrice plutôt que le personnage. Là, on ne se pose pas la question, et c’est du pur bonheur. Je pense que le film n’aurait pas pu se faire avec une autre que toi, et tout ça grâce à cette énergie toute neuve. Voilà, je voulais te dire que je t’aime…
Vanessa Paradis. J’ai le coeur qui bat, ça fait quelques jours que j’ai le coeur qui bat fort à l’idée de te revoir quinze ans après Cannes, puis ce film que nous avons fait toutes les deux, dans lequel tu jouais ma grand-mère. Ce moment reste un des moments les plus forts – peut-être le plus fort – que j’aie vécus sur scène. Je m’en souviens comme si c’était hier. D’abord, c’était la première fois que je venais au Festival de Cannes, et je n’y suis jamais retournée depuis. Je n’avais pas un bon souvenir de cette salle : j’y avais chanté pour le Midem à 14 ans, et j’avais été huée. Ce jour-là, j’étais ta surprise, j’étais passée par-derrière et j’étais cachée dans ma loge jusqu’au moment où il a fallu venir chanter. J’étais pieds nus, je ressentais tout comme un animal. Je ne voulais pas te gêner, je ne savais pas où regarder. Les premières notes se sont fait entendre, ma voix tremblait, j’ai tourné la tête et, dans cette salle immense et comble, je n’ai vu que toi : je suis tombée dans tes yeux. J’étais attirée, tu m’enveloppais, je ne contrôlais plus rien. Captée, émerveillée, hors du monde. Puis on a chanté main dans la main, toi debout, dos à la salle, et moi à genoux sur scène. Il n’y avait plus que nous deux (voir la vidéo en page 5). Six mois plus tard, on a tourné Un amour de sorcière, et je me souviens encore comme tu faisais tellement attention à moi.
J. M. Sur un plateau de cinéma, les rapports sont instantanés, il y a une intimité immédiate, c’est comme si on entrait dans l’autre…
Madame Figaro. Et là encore, vous vous êtes reconnues…J. M. Exactement. Alors que moi, d’habitude, c’est plutôt avec les metteurs en scène que le lien se noue. Cela ne se passe pas avec tous les acteurs, même si je les aime profondément et que je les sens immédiatement : je sens ceux qui ont du mal, ceux qui sont terrassés, distraits ou engourdis. Avec Vanessa, il y avait ce lien évident.
V. P. Au cinéma, comme dans la vie en général, d’ailleurs, il y a toujours un rapport de séduction : il faut qu’on sache si l’on plaît ou pas, si l’on intéresse ou pas. Avec toi, c’était autre chose, un coup de foudre. Avec toi, c’était sans effort et sans arrière-pensée.
Jeanne, y a-t-il une filiation d’actrices entre Vanessa et vous ?J. M. Elle a cette valeur précieuse qu’elle a acquise en tournant peu : cet état d’urgence que j’évoquais préalablement.
V. P. Oui, tu as raison, mais moi, mon angoisse, c’est que justement, en tournant si peu, j’ai l’impression de ne pas progresser. Je connais la progression de la vie, mon expérience de la vie me fait forcément avancer, mais je pense que le jeu est plus riche et plus ouvert si l’on tourne davantage. Moi, cela me pèse vraiment… Et puis, j’ai l’impression qu’on me demande juste d’être moi et que je ne peux rien proposer d’autre.
J. M. Ça arrive, ça, ma chérie : il y a des gens qui te prennent et veulent te voler. Et puis, il y a les metteurs en scène qui, au contraire, s’exposent autant que toi et attendent que tu t’épanouisses. Mais cette peur que tu ressens, qu’on ressent tous, la peur de ne pas être à la hauteur, tu ne le vois peut-être pas, mais elle permet de t’abstraire et de faire sortir de toi des choses inattendues. La peur fait jaillir une création intérieure dont on n’est même pas conscient.
Jeanne, le fait d’avoir travaillé avec Louis Malle, Truffaut ou Losey vous a-t-il fait progresser immédiatement comme actrice ?J. M. Bien sûr, on sent bien qu’on passe des caps. Mais tout ça relève d’une alchimie mystérieuse : les actrices se posent les mêmes questions depuis toujours, et il n’y a pas de réponses. On vit toutes les mêmes choses avec cette réserve-là : nous sommes toutes différentes! Et puis, c’est le « background » qui change. Les comédies américaines ont fleuri après la crise de 1929. Beaucoup plus tard, le cinéma d’auteur a absorbé les acteurs. Aujourd’hui, c’est la crise sociale, et le cinéma reflète exactement cet état du monde. Alors on voit des films sur la banlieue, des films sur des couples qui flanchent et, parallèlement, un autre traitement de l’amour qui a été remplacé par la sexualité. Le langage aussi n’est plus le même. Et le talent, aujourd’hui, on s’en fout. Regarde, il y a la « Star Ac’ », les gens chantent et deviennent des stars en une soirée. Tout le monde est une star, même les présentateurs écrivent leurs Mémoires, mais toi et moi, Vanessa, on est beaucoup mieux que ça : on est des étoiles. Ça veut dire que même éteintes, on continue à briller. (Elle rit.)
Vous avez un autre point commun : toutes les deux, vous avez été considérées comme des objets de scandale…J. M. J’étais scandaleuse à mes débuts : j’acceptais de jouer des personnages en dehors des conventions.
V. P. Moi, je n’ai jamais pensé à ça, j’étais libre. Mais je ne faisais que chanter une chanson…
J. M. Tu étais une ado sensuelle.
V. P. Oui, d’accord.
J. M. Ben, tu ne le savais pas ?
V. P. Si. À cet âge-là, on fait tout pour. J’avais envie d’être une femme avant de finir d’être une enfant.
Vanessa, qu’évoquent pour une jeune actrice les moments de bravoure de la carrière de Jeanne, avec autant de films très osés à l’époque ?J. M. Lesquels ?
« Les Amants », par exemple.J. M. J’étais folle de Louis Malle, j’aurais fait n’importe quoi pour lui.
V. P. Comme actrice, c’est une étoile, et c’est la reine des étoiles. On a toutes envie d’être comme elle : forte, belle, courageuse, féminine et masculine à la fois. Son jeu est toujours d’une puissance folle. Chez les hommes, il y a Marlon Brando ; chez les femmes, Jeanne Moreau.
Pourquoi êtes-vous actrices ?J. M. Moi, c’est normal : je ne pouvais pas faire autre chose. C’est ce qu’on appelle, d’un mot démodé, la vocation. J’ai la chance de vivre ma vie en faisant ce pour quoi je suis faite, et je suis une privilégiée car peu de gens peuvent en dire autant. Je peux être sombre ou dépressive, mais cela a à voir avec la vie intérieure, jamais avec ma vie de comédienne. J’entends aussi parfois : « Tu es comédienne, tu n’as pas de vie de famille. » C’est vrai. J’ai une famille, mais j’ai plutôt vécu comme un garçon. Et c’est ma nature. Je ne me dis jamais : je n’ai pas d’homme auprès de moi avec qui vivre mes derniers instants – quelle horreur ! Je suis venue seule au monde et je partirai seule.
V. P. Moi, le cinéma me faisait rêver, tout simplement. Jouer comme quand on est enfant, jouer pour dire des choses qu’on ne dirait pas…
Vous, Vanessa, avez ralenti la cadence pour vous consacrer à votre vie de famille. Certains pensent aussi que les artistes accomplissent un parcours solitaire…J. M. Chacun son choix.
V. P. Je ne suis pas à la retraite, je ne considère pas que j’ai cessé de travailler lorsque j’ai fondé une famille.
J. M. J’ai eu un enfant, mais mon destin n’était pas d’être maternelle. Je suis plus grand-mère que mère.
V. P. Moi, en fait, quand j’ai eu un enfant, je voulais crier au monde entier : « Faites un enfant ! » Aux femmes, aux hommes. Pour moi, c’était quelque chose d’énorme. Après coup, je me dis que c’est aussi très courageux de ne pas faire d’enfants. Je ne crois pas en une vérité ou en un chemin unique…
J. M. Le grand danger dans la vie, ce sont les lieux communs. Moi qui suis d’une autre génération, j’ai été élevée par des gens issus de parents du XIXe siècle. Il y avait des règles, des choses qui se faisaient et d’autres qui ne se faisaient pas. Pourtant, les conventions ne sont pas faites pour tout le monde : chacun s’éveille à la vie à sa manière.
Les actrices sont-elles plus libres aujourd’hui ?J. M. Le mot « liberté » est galvaudé. On vit dans une société régie par des lois, et vivre avec les autres demande une acceptation des autres. La seule liberté, c’est la liberté intérieure. Les gens qui sont revenus des camps m’ont expliqué qu’ils avaient survécu grâce à ça : la liberté intérieure qui donne la force. Aujourd’hui, chacun croit choisir sa liberté. Et puis, la liberté sexuelle a brouillé les pistes : le sexe est désormais une consommation, et le corps humain un bifteck. La quintessence, le secret, le mystère, toutes ces choses qui ont à voir avec le désir et le plaisir ont disparu. Aujourd’hui, ce qui l’emporte, c’est la satisfaction et l’assouvissement.
V. P. En répondant vite, on pourrait dire qu’on est plus libres aujourd’hui parce que beaucoup de tabous sont tombés, mais en réalité je crois que c’est tellement plus fort lorsqu’on transgresse la première fois comme tu l’as fait dans tes films, Jeanne…
Êtes-vous des transgressives ?J. M. Moi, je trouve. Pas la peine de le souligner. À la sortie d’«Eva», on me traitait de salope, on m’a même craché à la figure.
Comment vivez-vous la célébrité ?J. M. Je trouve qu’on se débrouille très bien. La célébrité, c’est épatant.
V. P. Je ne trouve pas que ce soit si épatant…
Vous avez même une célébrité internationale…V. P. C’est arrivé, c’est comme ça. Et tant mieux. On a de la chance.
J. M. Moi, déjà, je suis à moitié anglaise… Vanessa, toi qui vis aux États-Unis, je suis si contente que le projet Obama sur la Sécurité sociale ait été adopté. Lorsqu’il a signé, tout le monde l’a applaudi, même certains républicains…
Vous votez, Vanessa ?V. P. Ben non, aux États-Unis, je n’ai pas le droit, j’ai un passeport français…
J. M. Tu as la carte verte, au moins ? Il faut que tu aies la carte verte, chérie !
V. P. Je n’ai pas la carte verte, je ne suis pas mariée… Je suis très mal organisée. Et puis, on ne peut pas voter dans deux pays.
J. M. Quand j’ai épousé le réalisateur américain William Friedkin, j’avais la carte verte, mais pas la double nationalité. Je n’ai peut-être pas été mariée assez longtemps… Quand nous n’étions pas mariés, notre relation était merveilleuse. À partir du moment où nous avons signé, c’est devenu épouvantable.
V. P. – C’est pour ça que je ne me marie pas. (Elle rit.)
Le mot de la fin ?J. M. Je l’aime. J’aimerais partager une aventure artistique avec toi, Vanessa, quelle qu’elle soit.
V. P. Moi aussi, moi aussi, ah oui…
J. M. (Elle lui saisit les mains.) Fais voir tes petites mains. Regardez : elle a des ongles de petite fille. (Rires des deux.) Moi, j’ai des mains de cuisinière…[/quote]